SOBIBOR
Sobibor est le second camp
d'extermination massive.
Belzec a été le premier des trois camps d'extermination massive construits à la fin de l'automne 1941, dans le cadre de l'opération Reinhard confiée au général SS Globocnik. Sobibor, le second, est prêt à entrer en fonction à la fin d'avril 1942. Il est destiné à la destruction des juifs de la région de Lublin.
LE CAMP DE SOBIBOR
La construction du camp
Le site choisi par Globocnik est un vaste terrain vague entourant une ancienne maison forestière en bois, à proximité du petit village de Sobibor situé dans le district de Wlodawa, région de Cholm, voïévodie de Lublin. Le camp lui-même est construit à 8 kilomètres au sud de Wlodawa, tout près de la gare de Sobibor, sur la ligne de chemin de fer Cholm-Wlodawa-Brest. La région, au sol et au climat ingrats, est peu peuplée. Au nord, à l'ouest et au sud, le camp est entouré d'une forêt clairsemée de pins. Selon leur habitude, les nazis ont donc retenu un emplacement éloigné des populations, dissimulé dans un bois et implanté près d'une voie ferrée.
La superficie de Sobibor est modeste:
58 hectares. Mais les déportés étant mis à
mort sans délai, des Blocks pour les héberger sont inutiles.
Le camp a donc seulement besoin d'une vingtaine de locaux pour l'administration
et le logement de la garnison, à côté des équipements
nécessaires à l'extermination en masse.
La construction commence en mars 1942, sous la direction du SS
Thomalla. Elle est supervisée par le SS
Christian Wirth qui, au début d'août
1942, sera nommé inspecteur des trois camps de l'opération
Reinhard. Le 28 avril, Globocnik
désigne le SS Franz Stangl comme commandant
du camp de Sobibor. Il y reste trois mois jusqu'en
juillet, où il devient commandant du camp de Treblinka.
C'est le SS Franz Reichleitner qui lui succède
à Sobibor.
Les travaux sont exécutés par des entrepreneurs privés locaux utilisant des ouvriers juifs raflés dans les villages avoisinants. Les aménagements seront poursuivis jusqu'à la destruction du camp mais, bien sûr, à l'aide de la main-d'uvre fournie par les déportés choisis lors des sélections effectuées à l'arrivée des convois. Une ligne de chemin de fer à voie étroite relie la gare de Sobibor au camp, où elle aboutit à un quai de 400 mètres de long. Elle était utilisée jadis pour l'exploitation forestière. Elle va servir au transport des déportés. Le camp est entouré d'un réseau de barbelés, d'un fossé rempli d'eau et d'un champ de mines. Des branchages entrelacés dans les barbelés empêchent de voir ce qui se passe à l'intérieur. Des miradors armés de mitrailleuses surveillent l'ensemble. Au bord du quai de la voie ferrée est aménagé le Vorlager, quartier d'habitation du personnel. Ainsi, à la différence de Belzec, tous les SS et le personnel vivent à l'intérieur même du camp.
Sobibor est subdivisé en trois
camps
(Lager) séparés par des barbelés.
Dans le camp 1 sont construits les baraquements où logent
les déportés chargés des corvées (et qui seront
constamment renouvelés, c'est-à-dire mis à mort et remplacés
par d'autres au bout de quelques semaines ou de quelques mois), les cuisines
et les ateliers des forgerons, des menuisiers, des électriciens, des
tailleurs, des cordonniers, etc.
Dans le camp 2, situé à la limite du Vorlager,
se trouvent les locaux administratifs, les entrepôts où sont recueillis
les vêtements et les bagages des victimes, ainsi que la baraque où
a lieu le déshabillage. C'est là que sont conduits directement
les arrivants. Un sentier de 150 mètres de long, étroit,
encadré par deux haies serrées de barbelés, appelé
" tuyau " ou " boyau ", conduit du camp 2
au camp 3.
Le camp 3 abrite les structures d'extermination: les chambres
à gaz et les fosses communes, ainsi que deux baraquements pour les gardes
et les détenus juifs travaillant dans le camp 3.
Au sud du camp a été commencée la construction du camp
4, appelé " Nordlager ". Mais elle ne sera pas
achevée.
Le personnel
Une vingtaine de SS occupent les fonctions de responsabilité. Plusieurs ont fait partie des équipes ayant pratiqué l' " euthanasie ". Ils habitent dans les coquettes villas du Vorlager, avec le commandant du camp. Les camps 1, 2 et 3 sont chacun sous l'autorité d'un Lagerführer SS. Ceux-ci commandent les auxiliaires ukrainiens qui assurent la garde, les patrouilles, qui conduisent les déportés à la mort; ils ont aussi sous leur autorité les déportés chargés des corvées. Ces Ukrainiens sont des volontaires recrutés par les nazis, appelés les " noirs " par les détenus du fait de la couleur de leur uniforme. Ils ont été entraînés dans le camp de Trawniki, construit à l'automne 1941. Ces mercenaires sont, en général, très brutaux avec les déportés. Ils sont placés à Sobibor sous le commandement d'Erich Lachmann qui les avait formés au camp de Trawniki. Ancien fonctionnaire de police, il n'est pas SS et est donc remplacé à l'automne 1942 par le SS Kurt Bolender. L'effectif des " noirs " a varié de 60 à 120. Ils sont répartis en trois groupes, qui se relaient dans leurs missions.
Les chambres à gaz
Pendant la première période, trois chambres à
gaz sont installées dans un bâtiment en briques construit dans
la partie nord-ouest du camp 3. Chacune mesure 4 mètres sur
4. Chacune est dotée de deux portes: l'une par laquelle entrent les
victimes, l'autre par laquelle sont retirés les corps après le
gazage. Ces trois chambres à gaz permettent d'asphyxier 250 personnes
à la fois. À Sobibor, le gaz utilisé
est, comme à Belzec, le gaz d'échappement
d'un véhicule.
Au milieu d'avril 1942, Wirth vient assister
aux essais ainsi que le relate le SS Erich Fuchs
dans son témoignage devant ses juges :
« Sur les instructions de Wirth, je partis avec un camion pour Lvov, où je pris livraison d'un moteur à asphyxier, que j'ai transporté à Sobibor. C'était un moteur lourd à essence, d'origine russe, vraisemblablement un moteur de blindé ou le moteur d'un tracteur, d'une puissance d'au moins 200 chevaux (moteur en V, huit cylindres, refroidissement par eau). Nous l'avons installé sur un socle de béton et nous avons mis en communication le pot d'échappement et la conduite. Le chimiste, que je connaissais déjà de Belzec, se rendit dans la chambre à gaz avec un instrument de mesure pour vérifier la concentration des gaz. A la suite de ce contrôle, on fit un gazage d'essai. Je crois me rappeler que de trente à quarante femmes furent gazées dans une chambre à gaz. Les juives avaient dû se déshabiller dans un abri ouvert sur les côtés, édifié sur le sol même de la forêt au voisinage des chambres à gaz. Des SS et des auxiliaires ukrainiens les poussèrent vers la chambre à gaz. Lorsqu'elles y furent enfermées, je me suis occupé du moteur avec Bauer. Il a d'abord tourné à vide. Puis nous avons fait passer les gaz de l'échappement libre dans la direction des cellules, de sorte qu'ils parvenaient dans la chambre. Sur le conseil du chimiste, j'ai réglé le moteur à un certain nombre de tours: il n'était plus besoin ainsi de l'accélérer par la suite. Dix minutes plus tard, les trente à quarante femmes étaient mortes. Le chimiste et le Führer SS donnèrent l'ordre d'arrêter le moteur. Je ramassai mes outils... »
L'EXTERMINATION: MAI 1942-OCTOBRE 1943
Deux périodes sont à distinguer dans l'activité du camp de Sobibor.
La première période
L'extermination massive dure trois mois, du début de mai à la fin de juillet 1942. Les déportés sont, comme pour les autres camps, amenés à Sobibor par des trains de marchandises dans les conditions déjà décrites. Les Chambres à gaz, secret d'État rapporte un récit d'une femme juive, raflée en Hollande et ayant miraculeusement échappé à la mort à Sobibor :
« Nous avions été entassés dans un wagon à bestiaux. L'encombrement y était tel que le moindre mouvement était impossible. L'air manquait, beaucoup de gens s'évanouissaient. Dans un endroit isolé, le train s'arrêta. Des soldats sont entrés dans les wagons, ils nous ont dévalisés. Ils coupaient même les doigts pour prendre les bagues. Ils disaient que, d'ailleurs, nous n'en aurions plus besoin. Ces soldats portaient l'uniforme et parlaient ukrainien. En raison de la durée du voyage, nous avions perdu tout sens de l'orientation, et nous croyions être en Ukraine. Les jours et les nuits passaient. L'air du wagon était empuanti par l'odeur des corps et des excréments. Personne ne songeait à manger, on ne pensait qu'à l'eau et à l'air pur. Enfin, nous arrivâmes à Sobibor. »
Dans le même livre, un autre témoignage décrit l'accueil à Sobibor .
« Nous avons distinctement entendu le SS Michel, debout sur une table, rassurer les gens de manière convaincante. Il leur promit qu'après le bain ils retrouveraient toutes leurs affaires. Il était temps, disait-il, que les juifs deviennent des membres productifs de la société. On allait les envoyer en Ukraine où ils pourraient vivre et travailler. Cette allocution inspira confiance et même elle enthousiasma les gens. Spontanément, ils applaudirent. »
Le processus de mise à mort est précisé dans la déposition du SS Kurt Bolender .
« Quand le train s'était arrêté, on fermait les portails et la garde ukrainienne entourait le train. On menait aussitôt les juifs sur la place devant le bâtiment de l'administration. Quand j'étais à Sobibor, il n'y avait pas encore de baraquement affecté au déshabillage. C'était sur cette place que les juifs, hommes et femmes séparément, devaient se déshabiller. Après l'allocution, on faisait se déshabiller autant de juifs qu'on pouvait en mettre dans une chambre à gaz. J'évalue à quarante ou cinquante le nombre des personnes qui tenaient dans une chambre à gaz. Quand les juifs étaient entrés dans les chambres à gaz, les Ukrainiens fermaient les portes. Après le gazage, on ouvrait les portes, et une corvée juive enlevait les cadavres. »
Les corps sont enfouis dans des fosses communes de 30 mètres de long sur 15 de large, profondes de 4 à 5 mètres.
Le seconde période
La seconde période d'extermination massive va d'octobre
1942 à octobre 1943.
Himmler a décidé le 19 juillet 1942
de supprimer avant la fin de l'année 1942 tous les juifs du Gouvernement
général. Le rendement de Sobibor
étaient devenu insuffisant, l'extermination est arrêtée
fin juillet 1942. Les trois chambres à gaz sont détruites.
À la place, cinq nouvelles sont construites. Plus grandes, elles mesurent
12 mètres sur 4. Chacune peut contenir 70 à 80 personnes.
Quand elles fonctionnent toutes les cinq simultanément, il est possible
de gazer en même temps 400 personnes, et plus de 400 s'il
y a des enfants. L'extermination intensive reprend en octobre 1942.
Himmler vient visiter Sobibor
le 12 février 1943. Miriam Novitch
raconte en détail l'événement:
« Au procès de Hagen, les onze SS membres du personnel de Sobibor, qui furent jugés, raconteront que, désireux de recevoir dignement le Reichsführer et de lui présenter toute l'opération de mise à mort, le commandant ordonna que deux cents jolies femmes et jeunes filles juives soient sélectionnées dans plusieurs convois. Elles durent se déshabiller dans le camp numéro 2 et passer par le " tuyau " vers le camp numéro 3, où elles furent reçues par Erich Bauer, surnommé Bademeister (baigneur), qui les conduisit vers les chambres à gaz. En cette occasion, en sa qualité d'ancien combattant de 1914-1918 et de membre de la Stahlhelm, Bauer avait mis son uniforme de parade, rehaussé d'attributs en cuivre. Tous les SS firent soigneusement astiquer leurs bottes. »
Pendant les travaux, un chemin de fer à voie étroite
est construit du quai aux fosses communes, afin de transporter directement les
morts, les malades et les invalides des convois vers l' " hôpital
". En fait d'hôpital, là, près des fosses, ils sont
abattus. Avant, il fallait transporter ces handicapés sur des chariots
tirés par des hommes ou des chevaux vers leur lieu d'exécution.
Autre décision importante: c'est à cette époque que le
commandant de Sobibor décide de brûler
les cadavres. En effet, au printemps 1942, Himmler
a ordonné que les juifs et les prisonniers de guerre assassinés
soient retirés des fosses et brûlés, afin que disparaisse
toute trace de ces massacres. Cette entreprise reçoit le nom de code
d' " opération spéciale 1005 ". Cette mission,
considérée comme un secret d'État, est confiée au
SS Blobel. Après divers essais, la technique
retenue est celle des bûchers en plein air. Elle est employée dans
les trois camps d'extermination de l'opération Reinhard,
en commençant par Sobibor.
Le SS Hagen a déclaré lors de
son procès :
« Déjà au cours de l'été 1942, la mécanique de l'extermination avait dû être modifiée. En raison de la chaleur, les fosses remplies de cadavres gonflèrent; elles laissaient sourdre des liquides provenant de la décomposition des cadavres, attiraient des insectes nuisibles et répandaient dans toute la région une odeur pestilentielle. La direction du camp craignait la contamination de l'eau potable fournie par les puits. On amena au camp une excavatrice lourde munie d'un dispositif de ramassage. Les détenus juifs furent mis à son service. On retirait des fosses avec l'excavatrice les cadavres déjà décomposés, qu'on brûlait sur de grands grils dans une fosse déjà creusée, mais encore vide. Le gril était fait de vieux rails de chemin de fer posés sur un socle de béton. À partir de ce moment, tous les cadavres provenant des gazages furent brûlés ici, même de nuit. La lueur des flammes se voyait non seulement dans le camp mais au?dehors, et l'odeur de chair brûlée se répandait au loin. »
À partir de cette date et jusqu'à la fin, les victimes des nouveaux gazages seront toutes incinérées.
Les victimes
Les premières victimes de Sobibor sont un groupe de 150 juifs déportés de Wlodawa. Suivent, pendant la première période (mai-juillet 1942), des convois pratiquement quotidiens, d'une vingtaine de wagons en moyenne, transportant chacun 2 000 à 2 500 déportés. Les documents permettent de constater qu'arrivent régulièrement à Sobibor des juifs provenant de la région de Lublin (y compris ceux qui, arrêtés en Autriche et en Tchécoslovaquie, avaient été regroupés dans le ghetto de Lublin), 21 600 du ghetto de Pulawy du 3 au 12 mai, 11 300 du district de Krasnystaw du 13 au 15 mai, puis 7 200 du district de Zamosc, 6 130 du district de Chelm durant la seconde quinzaine de mai, 11 300 du district de Hrubieszow dans la première quinzaine de juin, ainsi que 3 000 de Biala-Podlaska, et 800 des districts de Krasniczyn et Krasnystaw. Pendant ces trois mois arrivèrent 10 000 juifs d'Autriche et 6 000 du protectorat de Bohême-Moravie. Pendant la première période de trois mois, plus de 77 000 juifs ont ainsi été exécutés. En outre, 24 378 juifs provenant de Slovaquie seront tués avant la fin de 1942.
Les renseignements chiffrés manquent pour la seconde période d'extermination massive qui va d'octobre 1942 à la fin. Les nouvelles chambres à gaz permettent d'intensifier le rythme des assassinats. Les foyers en plein air brûlent nuit et jour. À la fin de 1942, la population juive du Gouvernement général a pratiquement été anéantie. Sobibor reçoit, au début de décembre, les juifs encore détenus à Belzec quand ce camp cesse de fonctionner, et ils sont aussitôt gazés. On signale, par ailleurs, qu'arrivent à Sobibor, en mars et avril 1943, des convois de juifs provenant de Yougoslavie, de Grèce et du ghetto anéanti de Varsovie.
LA RÉVOLTE DU 14 OCTOBRE 1943
Le sort des détenus épargnés provisoirement afin d'assurer la maintenance du camp, et qui sont tous exécutés au bout d'un temps plus ou moins long dépendant du caprice des SS, n'a rien à envier à celui des autres déportés. Se sachant condamnés, il s'efforcent de préparer leur évasion. Informés chaque fois, les SS réagissent par des pendaisons et une sauvage répression. Une révolte réussira pourtant le 14 octobre 1943.
Les sévices
Miriam Novitch a recueilli un nombre très important de témoignages, qui figurent dans son livre sur Sobibor. Tous font état des sévices infligés aux déportés par les SS et les Ukrainiens. Celui d'Eda Lichtman, par exemple, est éloquent. Elle a survécu parce qu'elle s'occupait du linge des SS et qu'elle a participé à la révolte.
« Sur les 7 000 personnes parties de Hrubieszow,
précise-t-elle, nous ne sommes que trois femmes à n'avoir pas
été exécutées en arrivant à Sobibor.
Des trois, je suis aujourd'hui la seule. Le jour de notre arrivée, deux
prisonniers surveillés par un garde nous ont apporté deux caisses
de linge sale à laver dans les deux jours. Le linge devait d'abord être
désinfecté, puis nous devions aller puiser de l'eau pour le laver.
Je me souviens de notre première nuit. Des cris m'ont arrêtée.
J'ai entrouvert la porte, puis des coups de fouet m'ont cinglé le visage,
puis un hurlement: " Si je te vois encore une fois, je t'envoie Barry!
" C'était Lachmann avec son chien qui
faisait sa tournée d'inspection. Je l'appris plus tard, comme j'ai appris
que les cris étaient poussés par les jeunes filles violées
avant d'être gazées. De notre baraque, je pouvais entendre les
nouveaux déportés supplier pour avoir de l'eau. Parfois on permettait
à l'un d'entre eux d'aller aux puits. Là, le Volksdeutsche
Michel attendait. De sa baïonnette, il repoussait
alors les malheureux vers les latrines, tout près de notre baraque. "
Ramassez la m... avec vos mains! " disait-il. Puis, de sa baïonnette,
il conduisait ses victimes vers les barbelés, vers le gardien Malinovski;
celui-ci redressait sa casquette, fermait un oeil et visait la tête. D'autres
jeux épargnaient la vie des victimes. Ainsi Michel
aimait à faire pousser une brouette pleine de sable par un jeune prisonnier
nommé Simon jusqu'à ce qu'il s'effondre...
Je me souviens aussi avoir vu, un jour, depuis la blanchisserie, deux déportés
descendre d'un wagon avec une civière où était allongée
une femme en couches. Au bout de quelques instants, j'ai entendu le cri du nouveau-né.
Le SS Wagner était là; ayant
entendu le cri lui aussi, il a donné l'ordre au garde ukrainien
Klat de jeter le nouveau-né dans les latrines.
La mère a été emmenée au camp numéro 3.
Quelques jours plus tard, le cadavre du nouveau-né surnageait dans la
fosse, parmi les excréments...
Paul Groth ordonna un jour à quatre prisonniers
de le porter autour du camp, assis dans un fauteuil. De sa chaise à porteurs
improvisée, il s'amusait à jeter des morceaux de papier enflammé
sur les déportés... Un jour, dans un convoi venu de Vienne,
les SS ont sélectionné trois belles cantatrices qui ont
dû chanter pour eux jusqu'à ce que, lassés de leur répertoire,
ils les exécutent. Dans un autre convoi de Berlin, trois jeunes
filles de seize à dix-sept ans, Berthe, Léna
et Ruth, furent épargnées. Ruth
devint la favorite de Paul Groth. Mais elles ont bientôt
été assassinées...
Chacun des SS avait une façon particulière de tuer. À
l'arrivée des convois, ils étaient tous là. Bredow
cherchait fébrilement les toutes jeunes filles qu'il fouettait jusqu'au
sang. Gomerski assommait des déportés
avec une trique au bout de laquelle il avait planté des clous. Paul
Groth et Kurt Bolenger venaient avec leur chien. Lorsqu'ils disaient
à un déporté: " Ach ! du willst nicht arbeiten
? " ("Ah! tu ne veux pas travailler?"), Barry
lui sautait à la gorge et le mettait en pièces.
Quel que soit le temps, nous avions de nombreuses séances de gymnastique
auxquelles les SS semblaient prendre grand plaisir. Nous devions courir,
sauter, faire des pompes, grimper, etc. Ils aimaient beaucoup nous cravacher
pendant que nous courions. Ces séances avaient lieu une fois par jour,
puis, après qu'il y eut quelques tentatives de fuite, elles eurent lieu
matin et soir..
Schultz et Mueller escortaient le kommando de la forêt.
Sur le chemin, par jeu, Mueller blessa à la
hache plusieurs prisonniers. Les blessures affectant leur rendement, Schultz
les a abattus. »
Les témoignages recueillis par Miriam Novitch apportent beaucoup d'autres exemples de sévices fait par les SS " noirs " et le chien Barry..
Les trois derniers mois
Le 5 juillet 1943, Himmler donne l'ordre d'utiliser Sobibor comme un dépôt pour les munitions prises à l'ennemi... sans que cesse le processus d'extermination. Pourtant, le rythme d'arrivée des convois de juifs diminue. Les déportés commencent à édifier de vastes entrepôts où devront être stockées les armes et les munitions récupérées sur l'année Rouge. Un convoi de déportés provenant d'URSS, et qui arrive à Sobibor le 23 septembre, est tout entier épargné et affecté à la construction de ces nouveaux baraquements...
Ils voisinent avec les magasins où sont empilés, comme à Belzec, les valises, vêtements et objets de tous ordres abandonnés par les victimes avant qu'elles soient gazées. Comme à Belzec, la récupération est systématique. Les dépouilles sont envoyées à Berlin, au ministère de l'Économie du Reich. L'or et les bijoux sont adressés à la Chancellerie. À Sobibor, le responsable de cette récupération est le SS Beckmann (il sera tué le 14 octobre).
La révolte du 14 octobre 1943
Le 2 août 1943, les déportés du camp
d'extermination de Treblinka s'étaient révoltés
et ceux de Sobibor l'apprennent. Depuis longtemps,
ils s'efforçaient de s'organiser pour tenter d'échapper à
la mort certaine et proche. Un plan est minutieusement mis au point par celui
qui sera le chef de l'insurrection: le commandant Alexandre
Petcherski, dit Sacha. Il est à noter
qu' un fabuleux téléfilm avec pour titre "
Les rescapés de Sobibor " a été réalisé.
Pour son téléfilm, le réalisateur s'est assuré la
collaboration des survivants. Avec Rutger Hauer
dans le rôle d' Alexandre Petcherski (Sacha),
Alan Arkin dans celui de Léon
Feldhendler, Joanna Pacula dans celui de
Luka et Simon Gregor dans
le rôle de Szlomo. A voir absolument !
Voici le récit qu'en fait Thomas Blatt .
« Les participants à la révolte étaient
divisés en trois catégories: les commandants Alexandre
Petcherski et Léon Feldhendler; une deuxième catégorie
groupait cinq prisonniers ayant à exécuter silencieusement certains
nazis; le troisième groupe comportait une trentaine de personnes chargées
de tâches secondaires. J'appartenais à ce dernier groupe.
De 16 à 17 heures, il fallait liquider la plupart des SS
et s'emparer de l'arsenal. Il fallait ensuite porter à la baraque des
charpentiers les armes prises aux nazis abattus; à 5 heures, il
fallait se rendre dans l'ordre habituel au camp numéro 1 où
avait lieu l'appel. De là, la révolte générale devait
embraser le camp. On devait alors se diriger en rangs vers la sortie, ceux qui
parlaient russe sommeraient la garde ukrainienne de se joindre à nous.
Un groupe d'hommes était chargé de lancer des pierres ou des planches
sur les mines qui entouraient le camp pour nous rendre la fuite moins meurtrière.
Nous comptions aussi sur le fait qu'en fin d'après-midi les SS
restaient généralement au mess.
Le jour de la révolte était fixé au 14 octobre.
À 4 heures, anxieux, j'attendis au camp numéro 2
les hommes qui devaient venir au camp 1 pour abattre les nazis. Près
de moi on murmure: " Ils viennent. " Voici Chubayev,
prisonnier soviétique, ingénieur, âgé de trente-cinq
ans environ, accompagné du kapo Benyo
qui était dans le coup. Ils entrent dans le dépôt de vêtements.
Quelques minutes auparavant, Phibs, un jeune prisonnier,
avait invité le chef du magasin à passer à la baraque des
tailleurs, pour y prendre livraison d'un manteau de cuir qu'il avait commandé.
Wolf entre dans l'atelier. Les juifs y travaillent,
tête basse. On lui présente le manteau, deux prisonniers l'aident
à l'enfiler. À ce moment Chubayev le
tue d'un coup de hache. Des prisonniers ont porté à Wolf
plusieurs coups de couteau supplémentaires. Deux autres SS sont
liquidés dans la même baraque. Drescher
va d'un groupe à l'autre pour les mettre au courant. Nous apprenons ainsi
que Niemann, le commandant adjoint, Greischutz,
le chef de la garde ukrainienne, et Klat sont
morts.
La cloche sonne l'appel. Les kapos forment les kommandos qui doivent
aller au camp numéro 1. Beaucoup d'entre nous ne savent encore
rien. Moi, je cours vers la baraque du forgeron où m'attend Szlomo.
Il tient un fusil et sait s'en servir. Nous rejoignons l'appel où le
kapo Benyo forme les rangs. Les Ukrainiens
se tiennent encore tranquilles, quand un hurrah monte des prisonniers. Un garde
arrive à bicyclette. Il est jeté à terre et assommé.
Un prisonnier lui coupe son ceinturon et prend son revolver. Alors que nous
nous dirigeons vers l'entrée principale, le cuisinier allemand tire vers
nous en reculant vers le mess. Szlomo l'abat. Un des
nôtres coupe les barbelés avec des tenailles. Mais la plupart n'attendent
pas. Beaucoup sauteront sur les mines. Je suis pris dans les barbelés,
puis je tombe dans le fossé. À ce moment je retire mon manteau,
je sors de la fosse et je cours. Je tombe plusieurs fois, mais je ne suis pas
blessé... »
Il y avait à Sobibor environ 600 déportés juifs chargés des corvées, dont 80 femmes. 300 parviennent à rejoindre la forêt. Certains retrouveront la liberté et pourront témoigner.
Depuis le 7 juillet 1943, Globocnick est remplacé par le général SS Jacob Sporrenberg. Celui-ci, chargé d'écraser la révolte de Sobibor, fait appel, tout comme le général Stroop à Varsovie en avril 1943, au concours de la Wehrmacht et de la Luftwaffe, et réussit à l'obtenir. Sporrenberg ordonne des représailles très cruelles. Les insurgés retrouvés dans les forêts voisines sont abattus sur place ou ramenés au camp. Ils y seront torturés, puis passés par les armes. Aussitôt après la révolte, Himmler décide la destruction de Sobibor. Les sapeurs de la Wehrmacht démontent les installations, dynamitent les chambres à gaz, les villas des SS et les bâtiments en dur, incendient les baraques. Comme à Belzec, le terrain est labouré et planté d'arbres afin de dissimuler les traces de l'extermination. En novembre 1943, tout est terminé.
Conclusion
La Commission générale d'enquête
sur les crimes allemands en Pologne
évalue le nombre des victimes à 250 000. Ce nombre de 250
000 est avancé également par Miriam
Novitch . Raul
Hilberg propose celui de 200 000, mais pour les juifs seulement.
Dans un article de la revue Le Monde juif , Adam
Rutkowski estime que le nombre des victimes a dépassé 300
000: d'après les calculs basés sur le nombre des convois parvenus
à Sobibor, au moins 250 000 juifs sont
arrivés par la voie ferrée, auxquels il faut ajouter ceux qui
ont été amenés à pied, en charrettes, en camions.
Les juifs polonais, les plus nombreux, ont été rejoints par 34
313 autres venant des Pays-Bas, 10 000 de Tchécoslovaquie,
1 500 d'URSS, 1 000 d'Allemagne, etc.; et il faut ajouter aux
victimes juives plusieurs convois de Tziganes. D'après cette dernière
étude, le nombre des victimes peut être évalué à
environ 300 000.
Près de 4 000 juifs sont venus de France, précise
Adam Rutkowski . Ils ont tous trouvé la
mort à Sobibor.
![]() |